Abrogation de la doctrine fiscale dite « Bacquet »
Par un communiqué du 12 Janvier 2016, le ministre Michel Sapin a signifié la fin de la doctrine fiscale connue sous le nom de réponse ministérielle Bacquet : « Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics, a décidé de revenir sur une doctrine fiscale décidée par l’ancien Gouvernement (réponse dite Bacquet datant de 2010). Depuis 2010, pour un contrat d’assurance vie souscrit dans un couple ayant opté pour le régime de la communauté, les enfants devaient acquitter des droits de succession au décès du premier époux, sans pour autant pouvoir bénéficier du contrat d’assurance vie. Désormais, le décès du premier époux sera neutre fiscalement pour les successeurs, notamment les enfants, les conjoints étant déjà exonérés. Ils ne seront imposés sur le contrat d’assurance vie qu’au décès du second époux et n’auront donc pas à payer de droits de succession dès le décès du premier époux sur un contrat non dénoué. Cette mesure bénéficiera à de nombreux épargnants et à leurs successeurs. »
La position ministérielle, compte tenu de sa rédaction, soulève plusieurs questions.
D’abord celle du domaine d’application de la neutralité fiscale ; En effet, le ministre ne vise que les contrats souscrits par un couple ayant opté pour le régime de la communauté. Que décider dans les autres hypothèses où la valeur de rachat du contrat est prise en compte dans le calcul de l’assiette des droits de mutation à titre gratuit ? Ainsi, « S’agissant d’un contrat souscrit avec des fonds propres du défunt qui n’est pas l’assuré, sa valeur de rachat doit donc être également portée à l’actif de sa succession » (BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20-20130709, n° 380).
Ces dispositions sont-elles également remises en cause ?
A s’attacher à la seule lettre du texte, une réponse négative s’impose. Sur le fond, à la différence de la situation couverte par la réponse ministérielle Bacquet, le souscripteur est décédé. Cependant, le caractère personnel du droit de rachat empêche les héritiers de prélever à leur profit la valeur de rachat du contrat sur laquelle ils sont imposés, ce qui peut en pratique le placer dans une situation proche de la précédente. On peut donc espérer que l’administration neutralisera la valeur de rachat du contrat non dénoué dans toutes les opérations liquidatives de succession.
Ensuite, la position ministérielle n’est pas claire quant à sa portée réelle. Un premier point cependant de certitude, puisque la doctrine de la réponse ministérielle Bacquet est abrogée, celle de la réponse ministérielle Proriol (Rép. min. Proriol, 29 juin 2009) l’est également. Rappelons que le garde des sceaux avait précisé que : « Au demeurant, la tolérance doctrinale évoquée est devenue sans objet compte tenu des modifications intervenues sur le plan fiscal en matière successorale dans le cadre de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, et notamment de l’exonération des droits de succession au profit du conjoint survivant qui en est résulté ».
Le second point évident, c’est que ce revirement, purement fiscal, n’affectant pas les conséquences civiles de la liquidation, ne rend pas inutiles les stratégies mises en place pour éviter que la valeur du contrat non dénoué augmente l’actif à liquider.
En revanche, la mauvaise rédaction de la position ministérielle laisse planer un doute sur le sens exact de cette précision : « Désormais, le décès du premier époux sera neutre fiscalement pour les successeurs, notamment les enfants, les conjoints étant déjà exonérés. Ils ne seront imposés sur le contrat d’assurance vie qu’au décès du second époux et n’auront donc pas à payer de droits de succession dès le décès du premier époux sur un contrat non dénoué ».
Cette rédaction laisse perplexe car elle vise les héritiers de l’époux non assuré. Comment interpréter ce texte ? La lettre du texte interdit de penser que le ministre vise l’intégration fiscale de la valeur du contrat dans la succession du défunt en second.
Celle-ci vise en effet la première succession. Faut-il alors considérer que le ministère envisage un différé d’imposition ? Une telle analyse nous paraît, à vrai dire, insensée.
D’abord, elle méconnaitrait l’attribution rétroactive du droit devenu pur et simple du bénéficiaire de la garantie décès. Comment admettre une imposition sur une valeur qui, en présence d’une clause bénéficiaire, a été attribuée depuis l’origine au bénéficiaire ?
En vérité, seule une récompense, à supposer que le mécanisme n’ait pas été écarté par la convention matrimoniale, pourrait alors être prise en compte pour moitié.
Ensuite, une telle analyse serait contraire au fondement de la restauration de la neutralité, éviter « pour un contrat d’assurance vie souscrit dans un couple ayant opté pour le régime de la communauté, (que) les enfants (acquittent) des droits de succession au décès du premier époux, sans pour autant pouvoir bénéficier du contrat d’assurance vie ». Car les bénéficiaires seront rarement les héritiers du premier défunt mais le plus souvent ceux de l’assuré, et il ne s’agit pas toujours des mêmes personnes…..
Enfin une lecture littérale de ce texte soulèverait un certain nombre de difficultés, en particulier relative à la valeur à intégrer, celle-ci ayant pu varier à la hausse comme à la baisse. En vérité, le principe de neutralité formulé par le texte nous semble incompatible avec l’idée d’un report d’imposition lors de la seconde succession…..
On peut penser que le rédacteur a en fait visé maladroitement la situation des enfants communs aux deux époux, désignés en qualité de bénéficiaires de la garantie décès. C’est alors par abus de langage que le texte vise les droits de succession alors qu’il envisageait la possibilité d’une taxation pour cause de décès de la valeur du contrat ou de la fraction représentative de primes.
Mots clefs : Contrat non dénoué – liquidation fiscale de la succession – Prise en compte (non)
Par :
Michel Leroy
Président du Comité Scientifique de JurisCampus
Maître de conférences – Directeur Master 2 Ingénierie du patrimoine – Toulouse 1 Capitole