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Les donations indirectes sont revenues sur le devant de la scène jurisprudentielle, particulièrement au cours de ces deux dernières années. La Cour de cassation en a redéfini les contours au travers d’arrêts notables. Nous avons choisi d’en isoler certains, ayant pour point commun des opérations dont l’exécution profite à une personne qui n’a rien déboursé – opérations à titre gratuit, pour leur caractère révélateur d’une évolution jurisprudentielle. En la matière, la Cour de cassation exerce un contrôle renforcé afin de maîtriser la requalification, qui n’est pas systématique, de ce type d’opération en donation indirecte – avantage procuré à autrui au moyen d’un acte qui revêt accessoirement le caractère d’une libéralité.

Ce type d’expertise est important car cette requalification représente un double enjeu : civil pour les héritiers et fiscal pour l’Administration. En effet, la donation indirecte peut être réduite par le jeu de l’action en réduction lorsque la donation porte atteinte à la réserve héréditaire des héritiers. De même, le rapport sera de rigueur en présence de cohéritiers. De plus, d’un point de vue fiscal, l’administration fiscale tentera de recouvrer les droits de mutation à titre gratuit sur les actes requalifiés.
La Cour de cassation a semblé pendant longtemps soutenir un égalitarisme entre les héritiers, en imposant le rapport successoral de l’avantage indirect quand bien même l’intention libérale n’était pas établie : elle s’appuyait sur une simple présomption. La qualification de libéralité n’est pas toujours aisée et aujourd’hui la jurisprudence s’attache strictement à la définition de la donation.
En 2012-2013, la Cour de cassation a modifié son comportement en recherchant la présence de certains éléments pour indiquer l’existence d’une donation indirecte. Ainsi, l’acte doit remplir les conditions de formation suivantes : l’intention libérale (I), le dessaisissement actuel et irrévocable du donateur (II) et l’acte support qui doit être neutre (III).

Par son contrôle, la Haute juridiction maîtrise la qualification de libéralité et ramène les avantages indirects au sein des libéralités.

I) La difficulté de la preuve de l’intention libérale

Par quatre arrêts rendus le 18 janvier 2012, relatifs à l’occupation à titre gratuit d’un logement par un héritier, la cour de cassation a remis au centre du débat la preuve de l’intention libérale.
Elle explique « qu’il incombait à la Cour d’appel de rechercher si les avantages indirects consentis par le propriétaire à son fils constituaient des libéralités rapportables à la succession » (Cass. Civ 1ère, 18 janvier 2012).

Auparavant, la preuve de l’intention libérale était facilitée par une présomption simple tirée d’une interprétation a contrario de l’article 853 du code civil. En effet, il est précisé que « le cohéritier n’est pas soumis au rapport en présence d’une convention qui ne présente aucun avantage indirect ». Désormais, la haute juridiction impose que la charge de la preuve pèse sur celui qui invoque la donation indirecte. Par conséquent, elle remet au premier plan la volonté réelle du donateur en recherchant l’intention libérale dans l’acte.
La position de la Cour, par son interprétation stricte des conditions de la donation indirecte, rend notamment la preuve de l’intention libérale difficile à établir.
Ainsi, la mise à disposition d’un logement à son descendant en contre partie du paiement des charges n’est « rapportable que si elle constitue une libéralité dont la reconnaissance nécessite la preuve de l’intention libérale » (Cass. Civ. 1ère, 30 janvier 2013). L’idée de prévoyance dans se cas se heurte à une intention libérale caractérisée.

Aussi, cette dernière ne peut être mise en évidence lorsque l’opération réalisée par le contractant relève d’un intérêt égoïste telle que la perception des revenus (Cass. Civ. 3ème, 19 septembre 2012). La construction d’un bien immobilier destiné à la location sur le terrain du nu-propriétaire peut constituer une technique avantageuse de transmission de patrimoine. En effet, même si l’usufruitier a la volonté d’avantager le nu-propriétaire, l’intention libérale sera difficile à apporter en raison du caractère personnel inhérent à la perception de revenus locatifs. L’intention libérale ne suffit pas à caractériser la donation, elle requiert également un dessaisissement irrévocable et immédiat du donateur.

II) Un dépouillement actuel et irrévocable caractérisé

Parallèlement au revirement de jurisprudence concernant le critère de l’intention libérale, la jurisprudence maintient le critère du dessaisissement irrévocable et immédiat. Toutefois, elle vient encadrer son domaine par deux arrêts importants en la matière.
Tout d’abord, la haute juridiction comble un vide juridique relatif à la construction d’un bien par l’usufruitier sur le terrain du nu-propriétaire. En effet, une minorité de la doctrine considérait que, conformément au principe général de l’article 551 du code civil, l’accession est immédiate par incorporation du bien construit sur le terrain du nu-propriétaire. Une majorité oppose, quant à elle, la théorie de l’accession différée.

La troisième chambre civile s’appuie sur l’absence d’enrichissement du nu-propriétaire au moment de la construction : l’usufruitier jouit d’un droit de propriété exclusif sur l’immeuble édifié.
De plus, la jurisprudence applique l’article 599, alinéa 2 interdisant à l’usufruitier de réclamer une indemnisation des améliorations effectuées sur le terrain du nu-propriétaire, telle que l’édification d’une construction. En l’absence d’un droit à indemnisation, aucune créance ne peut naître du rapport entre usufruitier et nu-propriétaire, à ce titre l’existence d’une libéralité ne peut être affirmée faute de dessaisissement immédiat.

De la même manière, dans le cadre d’une société civile où un couple est associé, la chambre commerciale écarte le critère du dépouillement immédiat des parents qui, modifiant la répartition des dividendes dans les statuts, avantagent temporairement leurs enfants (Ch. Com. 18 décembre 2012). Réaffirmant une jurisprudence constante depuis 1984 (Cass. Com. 23 oct. 1984), la Cour de cassation retient que les bénéfices n’ont pas d’existence juridique tant qu’ils ne sont pas déterminés dans leurs montants et dans leurs répartitions par l’organe social compétent.
La modification statutaire de la répartition des dividendes n’entraîne pas nécessairement un dépouillement dans la mesure où les bénéfices ne sont que hypothétiques. De même, en présence de bénéfices, les usufruitiers ayant le droit de vote pour leurs répartitions, n’ont aucune obligation de distribuer les dividendes et de les incorporer dans les réserves de la société. Il n’y a donc pas de lien direct entre la modification des statuts et la décision de répartition des bénéfices.
Les professionnels verront d’un bon œil cette décision qui met en avant une technique sociétaire permettant de réaliser des transferts indirects de valeur d’un patrimoine à un autre des associés.

III) La neutralité de l’acte support

Le précédent arrêt nous renseigne sur la position de la cour de cassation à l’égard de la répartition des dividendes. Toutefois, elle laisse planer le doute quant à l’éventualité d’une décision de l’assemblé des associés en tant que support d’une libéralité. L’existence d’un acte neutre, cristallisant l’intention libérale et la volonté de se dépouiller du donateur, constitue la troisième condition de la donation indirecte.

On peut se demander si, par interposition de la personnalité morale de la société, une décision d’assemblée peut ou non constituer une donation indirecte entre associés. Dans une société constituée exclusivement de parents et enfants, on peut apporter la preuve d’une intention libérale dans la mesure où les associés regroupent donateurs et bénéficiaires. La difficulté vient du critère de dessaisissement irrévocable et immédiat. En effet, si, dans la décision du 18 décembre 2012, la Cour de cassation n’a pas retenu la répartition des dividendes comme critère de dépouillement, elle l’a admis par le passé dans divers arrêts. Le dépouillement était retenu pour le cas de la renonciation par le père au profit de son fils à la souscription de parts sociales lors d’une augmentation de capital d’une SARL du fait qu’ils soient tous les deux seuls associés (Cass. Civ. 1ère, 18 janvier 2012).
On peut donc penser que la décision collective ne fait pas opposition à la caractérisation d’une donation indirecte.

Ainsi, il apparaît que la Cour de cassation contrôle la notion de donation indirecte dans la mesure où c’est elle qui précise l’interprétation des trois critères cumulatifs de la donation indirecte. Toutefois, il faudra bien prendre garde à ne pas tomber non plus dans le vaste domaine de l’abus de droit.

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