Les opérations de restructuration financière préalables à une cession sont validées
Le comité de l’abus de droit fiscal (CADF) a rendu une série d’avis durant les séances des quatre derniers mois de l’année 2012. L’impôt sur le revenu, l’impôt de solidarité sur la fortune, l’impôt sur les sociétés mais aussi les droits d’enregistrement ont fait l’objet d’un examen par ce comité consultatif.
Apportcession
La première affaire étudiée par le CADF en septembre dernier concerne une opération d’apport-cession (1). En l’espèce, l’administration fiscale estime que « l’opération d’apport des titres suivie de leur cession après un court délai de détention n’avait pas eu d’autre motif que de permettre aux contribuables de placer abusivement la plus-value réalisée dans le champ d’application du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du Code général des impôts ». Elle met donc en oeuvre la procédure d’abus de droit. Le comité estime que le fisc n’était pas fondé dans son action car la société ayant bénéficié de l’apport a, après avoir cédé les titres reçus, réinvesti significativement dans une activité économique « consistant notamment en la souscription de parts de fonds communs de placement à risques ». Les services fiscaux se sont rangés derrière cet avis.
Pas d’abus …
En octobre 2012, le CADF a examiné un abus dans le paiement de l’impôt sur le revenu (2). Dans cette affaire, une société civile est créée en décembre 2003 entre les membres d’une famille, un père et ses deux enfants, ainsi que ses frères. Le père apporte des titres de sociétés familiales à prépondérance immobilière soumises à l’impôt sur les sociétés à la nouvelle structure. Il sera faiblement imposé en raison de l’application du régime fiscal des plus-values immobilières des particuliers avec abattement pour durée de détention de 5 % au-delà de la deuxième année de détention. En mars 2004, le père fait donation à ses deux enfants de la nuepropriété des titres qu’il détient dans la société civile. Les titres logés au sein de cette structure sont cédés en 2006 et 2007, le père usufruitier déclarant alors les gains de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux au taux de 16 % en application de l’article 150-0 A du Code général des impôts. En l’absence de clause attribuant à l’usufruitier le prix de cession des titres, le fisc a tout d’abord rétabli la taxation au nom de chacun des deux enfants nus-propriétaires, ce qui a été accepté par ces derniers. … sur un droit qui n’existe pas encore.
Les services de l’administration ont ensuite « remis en cause le montage […] qui avait eu pour effet d’exonérer d’impôt sur le revenu la quasi-totalité de la plus-value d’apport, le régime des plus-values immobilières étant encore applicable le 16 décembre 2003, date de réalisation de cet apport ». Il a ainsi été reproché au contribuable d’avoir réalisé ces opération peu avant l’entrée en vigueur de l’article 10 de la loi de Finances pour 2004 qui écarte du bénéfice du régime de taxation des plus-values immobilières les cessions de titres de société à prépondérance immobilière soumises à l’impôt sur les sociétés. Le comité estime, pour sa part, que les actes d’apport ne peuvent être regardés comme ayant un but exclusivement fiscal car la famille était animée notamment par des « préoccupations patrimoniales tenant à la sécurisation et la continuité dans la gestion du groupe familial, ainsi qu’à l’exclusivité dans le pouvoir de décision ». Ainsi, « le fait de se placer dans un régime de faveur n’est pas constitutif en soi d’un abus de droit », fait remarquer Jean-François Lucq, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez KBL Richelieu Banque Privée. Les services fiscaux approuvent cet avis.
Dans un autre cas examiné en octobre (3), le comité a dû répondre à la question suivante : en inscrivant sur son plan d’épargne en actions (PEA) des bons de souscription d’actions (BSA), le dirigeant d’un groupe sous leveraged buy-out doit-il être regardé comme ayant commis un abus de droit ? Le comité a considéré qu’en l’espèce, l’administration n’était pas fondée à
mettre en oeuvre la procédure de l’abus de droit mais les services fiscaux ne se sont cependant pas rangés derrière cet avis (lire aussi le post de Jérémie Jeausserand, avocat associé du cabinet Scotto & Associés,concernant cette question, sur son blog constitué sur le site agefi.fr).
ISF
En novembre dernier, l’une des affaires étudiées (4) est relative à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Il s’agit d’un couple propriétaire d’un immeuble de rapport dans le 16e arrondissement de Paris composé de 52 appartements. Ces derniers possèdent également la totalité des parts d’une société civile agricole (SCA) dont l’actif unique est constitué par un château et des terres dans la Nièvre. Le couple apporte l’usufruit temporaire de l’immeuble pour une durée de dix ans à la SCA. Par conséquent, seules les parts de la SCA – comprenant la valeur économique de l’usufruit – ont été prises en compte dans l’assiette de l’ISF, les services fiscaux estimant que « cet apport n’avait eu d’autre but que de permettre de soustraire l’essentiel de la valeur de l’immeuble à l’ISF ». Le contribuable et son conseil avancent que cet apport était « impératif » afin que la SCA puisse bénéficier de ressources « en raison de travaux importants restant à effectuer dans le château, du remboursement de crédits et de la nécessité de solliciter l’ouverture d’un nouveau prêt lequel ne pourra être octroyé que si la SCA justifie de ressources propres lui permettant de rembourser les intérêts et le capital ». Le comité estime cependant que « le démembrement temporaire de la propriété de l’immeuble situé à Paris n’était, au cas d’espèce, justifié par aucune considération économique ou patrimoniale, mais répondait à la seule préoccupation d’exclure sa valeur en toute propriété dans le calcul de l’assiette de l’ISF ». Pour justifier son avis, il relève, entre autres, que « les recettes nettes tirées de l’immeuble démembré étaient, sur la période couverte par les redressements, plus de trois fois supérieures au montant des travaux payés dans le château ».
Donation déguisée
Dans un avis rendu en matière de droits d’enregistrement, un couple cède la nue-propriété de 2.800 parts à un neveu au prix de 54.835,20 euros (5). L’administration remet en cause la valeur vénale réelle de cette nue-propriété et requalifie l’opération en donation déguisée. Le neveu fait valoir que l’actif de la société se compose essentiellement de constructions édifiées sur des terrains loués à une société civile immobilière en vertu d’un bail et qu’il est probable que les constructions soient démolies par le preneur au titre de son obligation de désamiantage, « ce qui rend nulle voire potentiellement négative la valeur des titres cédés ». Même si le preneur devra, à l’extinction des baux, verser une indemnité à la société bailleur, le comité indique qu’« il n’est pas en mesure de déterminer l’importance de cette indemnité ». En raison de cet aléa, et compte tenu de l’absence de simulation relativement au prix et à son paiement effectif, le CADF considère qu’il n’y a pas lieu de mettre en oeuvre la procédure de l’abus de droit fiscal. En l’espèce, les services fiscaux ont décidé « d’abandonner la procédure d’abus de droit pour des motifs liés à la procédure, sans que cela entraîne son adhésion sur l’avis émis par le Comité ».
Enfin, Jean-François Lucq, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez KBL Richelieu Banque Privée, a relevé la parution d’un avis (6) en matière d’ingénierie financière et de holding.
Tous les avis sont disponibles sur www.agefi.com.