Sci, fraude et abus de droit
La constitution d’une SCI et la mise en place d’une vente à soi-même peuvent être constitutives de fraude.
Lorsque en effet la SCI -fictive- est constituée dans le seul but d’acquérir un bien immobilier, dont la saisie par un créancier de l‘apporteur devenait une perspective envisageable, étant précisé que l’achat est financé par un prêt in fine, l’opération a pour effet de faire sortir le bien immobilier du patrimoine du cédant et la valeur des parts, en raison de l’endettement de la société à la hauteur du bien acquis, est au départ nulle (les parts sociales pouvant être elle-même données). Si le prix d’acquisition s’évapore dans des opérations douteuses (par exemple, Cass. 3e civ., 9 févr. 2010, n° 09-10.639) ou est réinvesti exclusivement dans un contrat d’assurance vie apporté en nantissement (la clause bénéficiaire désignant les héritiers par exemple), et dont la valeur est insaisissable par le créancier (non nanti) en application de l’article L. 132-14 du code des assurances, la fraude paulienne pourrait être constatée. En effet, lorsque le cédant et l’acquéreur (la même personne donc, la société étant fictive) créent volontairement une situation d’insolvabilité en substituant à un immeuble aisément saisissable des parts sociales sans valeur, et un prix exclusivement investis dans des biens insaisissables, de tels actes modifiant la consistance du patrimoine du débiteur constituent sans doute une fraude paulienne
Ce n’est pas dire que toute acquisition par une SCI est constitutive de fraude, ou d’abus de droit comme en témoignent les derniers avis rendus par le comité de l’abus de droit fiscal et publié le 11 janvier 2011 BOI n° 13 L 13 10 du 11 janvier 2011), et par exemple, l’ affaire n° 2010-04 concernant Madame J. P.
ci dessous reproduite :
« Par acte du 19 mai 1998, M. M. a vendu à la société civile immobilière (SCI) X, dont il était associé à hauteur de 30 % des parts et dont les autres parts sont détenues par ses deux nièces et son neveu par alliance, la propriété d’un immeuble de rapport lui appartenant. Le prix de cession, fixé à 30 millions de francs, a été financé intégralement par un prêt in fine d’une durée de 15 ans, le capital étant intégralement remboursable à cette échéance.
En garantie de ce prêt, M. M. et les trois autres associés de la SCI se sont portés cautions solidaires, le premier à hauteur de l’intégralité du prêt, les seconds dans la limite de 1 million de francs chacun. Le prêt était en outre garanti par le nantissement au profit du prêteur de trois contrats d’assurance vie souscrits par M. M. au bénéfice de chacun des autres associés à hauteur de 10 millions de francs par contrat.
Le 5 juin 1998, M. M. a rédigé un testament olographe par lequel il léguait à chacun des trois autres associés un tiers de ses parts dans la SCI.
Après le décès de l’intéressé le 4 décembre 1999, Mme J. P. a déposé une déclaration de succession comprenant les parts reçues au titre de ce legs particulier, soit 39 650 F, ainsi que la somme de 755 456 F lui revenant au titre du contrat d’assurance-vie précité et une somme de 19 417 F au titre d’un autre contrat d’assurance vie et a acquitté les droits de mutation correspondants.
L’administration a estimé que l’ensemble de ces opérations dissimulait une transmission à titre gratuit de l’immeuble à ses nièces et à son neveu par alliance dans le cadre d’un montage ayant permis d’éluder, pour sa plus grande part, l’application des droits de mutation exigibles au taux de 60 % entre non-parents en vertu de l’article 777 du code général des impôts et reposant sur la constitution de la SCI X dans un but exclusivement fiscal, ainsi que sur la cession du 19 mai 1998 dénuée de tout intérêt économique pour le vendeur et dissimulant une donation. Elle a mis en oeuvre la procédure de l’abus de droit fiscal en vue de la liquidation des droits de
mutation à titre gratuit sur le montant du prix de cession de l’immeuble.
Le Comité constate au préalable :
– qu’aux fins de garantie du paiement du capital emprunté, le prêteur a demandé le nantissement des contrats d’assurance vie souscrits par M. M., nantissement auquel les bénéficiaires acceptants ont consenti,
– que le décès de M. M. a entraîné l’exigibilité anticipée du prêt in fine et la mise en œuvre auprès de l’assureur de la sûreté prise sur les contrats d’assurance-vie.
Il relève toutefois que, par une convention du 8 juin 2001, les associés de la SCI et le prêteur ont mis en oeuvre un accord antérieur permettant la prorogation jusqu’à son terme de ce prêt en échange de la constitution par les associés de la SCI d’une nouvelle garantie sous forme de souscription de contrats d’assurance-vie nantis à son profit.
Le Comité note qu’en exécution de cette convention, le prêteur a libéré les sommes réclamées à l’assureur en vertu du nantissement et les a restituées aux associés, bénéficiaires désignés par M. M. de ces contrats.
Il constate que cette convention a ainsi eu pour effet de faire entrer les sommes en cause dans le champ d’application des droits de mutation par décès en vertu des dispositions de l’article 757 B du code général des impôts dans leur rédaction applicable en la cause même si aucune déclaration complémentaire des sommes ainsi libérées n’a été déposée par les bénéficiaires.
Ainsi, appréhendé dans sa globalité, le montage juridique et financier mis en oeuvre ne permettait de réaliser aucune économie d’impôt.
Cela dit, le Comité relève d’une part que la SCI X ne peut être qualifiée de fictive, ni être regardée comme ayant été constituée dans un but exclusivement fiscal dès lors qu’elle a fonctionné normalement, avant comme après le décès de M. M., et a répondu à l’objectif de ses fondateurs d’assurer la pérennité de la détention et de l’exploitation dans un cadre familial d’un immeuble de rapport d’une manière plus efficace que n’aurait pu le faire une indivision.
Le Comité constate d’autre part que la cession par M. M. de l’immeuble de rapport en cause à la société X a eu pour contrepartie l’entrée dans le patrimoine du vendeur d’une somme de 30 millions de francs ; qu’il importe peu à cet égard que le prix, financé par un emprunt in fine d’une durée de 15 ans de la société, ait été remployé par le vendeur dans la souscription de contrats d’assurance vie au bénéfice des autres associés de la société acquéreuse dès lors d’une part, que cette société avait une personnalité juridique et un patrimoine distincts de ceux de ses associés et, d’autre part, que chacun des patrimoines de la SCI et de M. M. a effectivement reçu, pour le premier, l’immeuble vendu, et pour le second, le prix de vente. Il en résulte que l’acte de cession ne peut être requalifié en donation.
Par suite, et au vu de cette double considération, le Comité émet l’avis que l’administration n’était pas fondée à mettre en oeuvre la procédure de l’abus de droit fiscal prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. »